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La république face aux entreprises du numérique

lundi 13 juin 2016

Question d’actualité, conférence-débat organisée chaque année conjointement par les membres de Sciences Essonne se saisit en 2016 du thème des objets connectés. Une première conférence a eu lieu le 3 juin pour faire le point sur les enjeux du numérique au sein de notre société. Pour participer au débat final : les objets connectés, un changement au quotidien ? rendez-vous le 17 juin 2016, à 19h au ciné220 de Brétigny-sur-Orge.

Compte-rendu de la conférence Tous connectés, tous citoyens de Jean-Christophe Frachet, conseiller en innovation au Conseil départemental de l’Essonne.
Pour retrouver le début du compte-rendu : Tous connectés, tous citoyens, Le numérique : une révolution des usages

Les innovations rendues possibles par le numérique peuvent être vues comme de simples améliorations du quotidien, pour Jean-Christophe Frachet, elles remettent en question les normes qui allaient de soi, à commencer par le modèle économique. Jusqu’à présent, la matière fixait le prix, en cas de besoin, les gouvernements et les industriels jouaient sur la pénurie. Sans matière, c’est la première fois, ou le premier exemplaire, qui coute. Un monde transitoire est actuellement en place qui permet de rester dans l’ancien modèle par des mesures artificielles, particulièrement visibles dans les polémiques concernant le droit d’auteur et les copies.

Des premiers bouleversements se constatent aussi dans le monde du travail. Les métiers du futur n’existent pas encore, pour s’y préparer, les nouvelles générations doivent apprendre à apprendre. C’est tout le système hiérarchique qui est remis en cause : Par le passé, arriver aux plus hauts postes signifiait l’aboutissement d’une carrière et des savoir-faire. Encore aujourd’hui, la formation continue et la remise en question sont vues comme des aveux de faiblesse plutôt que comme des preuves d’adaptabilité. Elles sont pourtant nécessaires pour limiter l’obsolescence des connaissances et des pratiques dans un monde où tous les domaines connaissent une évolution rapide.
Par ailleurs, la standardisation des mails, en permettant aux salariés de communiquer directement entre eux d’un service à l’autre là où auparavant il fallait remonter l’échelle pyramidale, a aussi participé à la déconstruction de la hiérarchie stricte.

Une révolution globale et générale

En France, les valeurs de la République comme la Laïcité créent une séparation très nette entre les sphères publiques et privées. Ces principes sont défendus par le service public. Quasiment exclusif sur certains secteurs, il se voit aujourd’hui débordé par les services numériques, mondiaux, devenus indispensables, mais détenus en totalité par des entreprises privées. À titre d’exemple, peuvent être cités :

- L’identité : l’identité officielle est en concurrence avec les différents pseudonymes employés sur internet (pour commenter, pour se créer des comptes, etc)
- La loi fait face à l’augmentation des contrats : la loi est la même pour tous, le contrat est un rapport de force. Pour chaque logiciel utilisé, l’usager accepte les conditions d’utilisation, régies par contrat.
- La monnaie : chaque pays a sa monnaie officielle. L’apparition de monnaie alternative est anecdotique, on peut citer l’exemple du Bitcoin, mais que se passerait-il si Google décidait de créer sa propre monnaie qui serait nécessaire pour accéder à ses services ?

Les entreprises du numérique, et en particulier celles d’internet, se retrouvent ainsi au-dessus des nations. Le citoyen est alors pris entre deux feux : les entreprises d’un côté, l’état de l’autre. Jean-Christophe Frachet concentre son attention sur trois enjeux de la société en mutation :

- La citoyenneté numérique.
L’alphabétisation informationnelle est à consolider. Chaque citoyen doit comprendre le fonctionnement du numérique, être en mesure d’analyser ce qu’il lit. Le citoyen doit se faire sa propre “grille de lecture“.

- La privatisation de l’intelligence, du savoir et de la mémoire.
Tout peut-il s’acheter ? Bill Gates a racheté des fonds photographiques pour créer Corbis avec 100 millions de photos, qu’il a revendu ensuite à un groupe chinois, Visual China Group.
En science, les débats font rage quant au brevetage du génome du vivant. et du dépôt de brevet « d’idée ». À l’inverse, en 1839, l’Etat français a racheté le brevet du daguerréotype pour en faire un don au Monde et cela a créé la photographie. La question se pose de la légitimité d’appartenance des biens patrimoniaux à un particulier, une entreprise ou un état.

- Les libertés individuelles et collectives.
il s’agit pour le citoyen de contrer la surveillance généralisée qui ne fonctionne pas car cela déclenche ce qu’on appelle des faux positifs.
Même avec un algorithme extrêmement précis, qui ne se tromperait qu’une fois sur cent, à l’échelle du pays et de 66 millions de Français, cela fait de l’ordre de 600 000 personnes suspectées par l’algorithme.
Si on considère que 3000 personnes mériteraient d’être surveillées, comme le dit le gouvernement, et qu’effectivement ces personnes sont parmi les 600 000 personnes suspectées, cela fait une efficacité du système de 0,5%. Personne n’accepterait d’utiliser un système aussi peut fiable.
Qui utiliserait un système qui ait une chance de fonctionner de 0,5% ?
On passe de la présomption d’innocence à la présomption de culpabilité.

Autre exemple : un sujet entre dans un supermarché, les caméras de surveillance peuvent le détecter. Avec son visage, il est facile de connaître son identité. Si sa présence peut être mise en lien avec sa liste de course, le prix qu’il a payé, le modèle de sa voiture, des logiciels peuvent dresser un portrait robot très ressemblant.

Devant le nombre de cas possibles, des collectifs ou des particuliers s’engagent pour défendre le droit à l’oubli contre des entreprises qui, sous couvert de droit à l’information, collectent les données personnelles. Le bigdata est un enjeu citoyen qui nécessite une prise de conscience de chacun. Jusqu’où sommes-nous prêts à partager nos données, quel contrôle gardons-nous, quels avantages possédons-nous en retour ?

Jean-Christophe Frachet conclut en paraphrasant Spinoza : on ne nait pas citoyen, on le devient.

Pour aller plus loin, lire la totalité du compte-rendu de la conférence :

- Tous connectés, tous citoyens (1/3)
- Le numérique : une révolution des usages (2/3)

Lire aussi :

- La revue de presse

Participer à la conférence du 17 juin : Les objets connectés au quotidien